Ma Guerre

Mes mâchoires sont fortement serrées.
Une boule m’entre jusqu’au fond du ventre, mes mains sont moites. La panique s’empare de moi, sans que je ne puisse me raisonner, je ne m’appartiens plus et  la peur qui m’envahit efface insidieusement  le peu de raison qui me reste et me voile le monde réel, rassurant, qui m’entoure.
Je suis pris dans une espèce de délire vertigineux incontrôlable, j’étouffe tout comme ces marins sous-mariniers devant moi, qui suent le torse nu, et comme la leur, ma respiration est de plus en plus haletante, je suis incapable de  contrôler la fréquence de mon souffle. Mon regard suit le leur,  affolé, tourné vers le haut, l’oreille à l’écoute d’un bruit faible dans ce lourd silence entrecoupé par les signaux sonores espacés et réguliers des appareils du bord.
Le Commandant sous-marinier dokal1nne des ordres brefs et précis, il amène le périscope et j’avale difficilement le peu de salive qui me reste.
Et  puis c’est le choc violent de la torpille , assourdissant, terrible, qui fait jaillir des trombes d’eau au milieu des cris d’effroi et de douleur des hommes d’équipage.
Ma raison vacille, je rentre ma tête dans les épaules, me tasse sur moi-même comme pour échapper au danger, prêt à m’évanouir, mes mains crispées, enserrent désespérément les accoudoirs de mon siège, mes ongles entrent dans le velours pourtant rassurant de mon fauteuil de cinéma, je ne peux réprimer un cri de peur, un pleur.
Je suis aussitôt entraîné dans le noir de la salle, haché par la lumière tremblante du projecteur de cinéma, puis maintenu, dirigé, entraîné, rassuré mais en vain, par les paroles de mon grand frère et de mon oncle, en nous dirigeant tous trois entre les rangées de strapontins dépliés et occupés , puis par un long couloir obscur , nous atteignons les toilettes de la salle de ce vieux cinéma…et ici dans ce réduit en sous-sol, faiblement éclairé par la lumière blafarde d’un globe mural jaunâtre, de fortes odeurs de crésyl et d’urine mélangées à celle d’un peinture ripolinée me donnent la nausée, les cris du drame qui se joue à l’écran, à quelques mètres de moi, se font entendre encore faiblement.
Ce n’est plus qu’un  un fond sonore eloigné, comme pour mieux donner de relief aux cris de ce marchand ambulant arabe, vendant sa guimauve, qui me parviennent du soupirail, tout prés dans la rue…
Je m’échappe en courant vers la sortie, escaladant les quelques marches recouvertes de tissu élimé, avant de peser de tout mon poids d’enfant sur cette lourde porte métallique qui me sépare de la rue.
Enfin dehors… dans la chaude lumière blanche aveuglante de Bab el Oued ,   les couleurs vives   et les odeurs de l’après-midi.
J’ai réussi à m’echapper de l’enfer… J’ai sept ans.

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