Mais qui est donc Bernadette?…


Avez-vous eu le temps de vous interroger sur ces personnes qu’il nous est donné de croiser, dans la rue ? Vous êtes-vous dit  que la probabilité de les rencontrer de nouveau  est infinitésimale, soit inexistante et que vous ne les reverrez peut-être plus ?

Donc,  vous dévisagez une personne que le faible  hasard de la retrouver, ou (et) peut-être aussi vos faibles capacités de physionomiste la feront disparaitre définitivement de votre vie…A combien de quidams n’ai-je pas dit ainsi adieu au gré de mes rencontres ! Des petites morts…

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La séparation était encore plus douloureuse lorsqu’il m’arrivait de contempler suffisamment longtemps cette personne et de m’imaginer sa vie à l’appui de ce que je voyais d’elle : son visage, sa mine, son regard, ses mains, sa manière de se vêtir. Autant d’indices récoltés durant cette entrevue qui me laissaient perplexe et frustré lorsqu’elle disparaissait de ma vue, comme une vie brutalement interrompue…

Ce matin , j’ai pris un moment pour m’installer à  la terrasse couverte d’une brasserie, à Montparnasse. J’ai bu un café délicieux. Il y avait peu de monde. Après m’être absenté un instant, je suis revenu m’asseoir,  j’ai alors vu qu’une dame, disons de mon âge…, s’était installée à ma gauche, à une table de la mienne.

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Elle montrait une élégance sûre et discrète. Son visage était serein, on aurait dit une femme de bon goût, elle semblait très à l’aise et achevait sa conversation avec le garçon de café. J’admire ces personnes qui savent parler de tout  à tout le monde, en disant plus que ce qui est nécessaire, voilà, mais moi  c’est ce petit plus que je ne sais pas ajouter… Cette dame semblait plus qu’à l’aise, parcourant la terrasse de son regard satisfait  , heureuse de savourer cet instant, et ce bavardage avec l’employé devait être l’expression d’une euphorie matinale. Je jetai un coup d’oeil à gauche et à droite, les garçons s’affairaient à dresser les tables de la terrasse pour servir le déjeuner proche.

-“Il vous faut sortir un peu… ah oui, c’est l’hiver ici…” dit-elle au téléphone.

Sa conversation achevée, elle effectue un nouvel appel:

-“Mais où êtes-vous?… non, non, je suis sur place et je vous attends”.

Il est midi, l’heure des rendez-vous.

Deux messieurs entrent, l’un grand, l’autre de taille moyenne, aussi différents par leur physique que par la façon dont ils sont vêtus. Le plus grand porte un très élégant pardessus, en cachemire c’est sûr, gris clair, délicatement assorti à la couleur de ses cheveux argentés, pantalons aux plis irréprochables en flanelle grise de très belle tombée, mocassins à pompons , style université  américaine, bien cirés , chemise bleu ciel, col fermé, cravate à rayures au nœud triangulaire. Il porte une lourde serviette en cuir souple noir. Tout est en harmonie parfaite. L’autre monsieur plus petit, moustaches, sourire éclatant, est coiffé d’un chapeau (plus proche du style tyrolien vert foncé, porte un blouson molletonné en matière synthétique noir, sur des pantalons et chaussures noirs, chaussures classe, oui des “tennis de ville” (comment appeler ça?) à la ligne sport, élégante, jeune.
Elle les attendait donc, elle les salue sans excès de familiarité, se lève…ils discutent ensemble..Elle leur dit qu’elle a beaucoup marché ( elle a dû faire du lèche-vitrines et même des achats, elle porte à la main un sac de courses aux caractères stylisés…petite boutique…chère). Elle a pris le bus 95…à deux reprises. Le grand monsieur la vouvoie, mais semble être familier puisqu’il l’appelle par son prénom: Bernadette. L’autre monsieur sourit poliment à l’échange de leurs propos.

Et moi? et bien ça y est, depuis un moment je suis déjà parti…dans mes élucubrations. J’ai devant moi Bernadette, en tailleur de tissu moucheté, une riche provinciale venue de Normandie…arrivée en train ce matin à la gare Montparnasse. Elle possède des biens à Paris (immobiliers? pourquoi pas). Son notaire est venu la rejoindre ici, pour lui présenter peut-être le potentiel acheteur d’un bien dont elle veut se débarrasser à un bon prix…la crise est là …

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Le garçon leur propose de les amener à leur table, retirée dans l’arrière salle cossue et discrète, pour leur servir le repas, probablement prévu.  Dailleurs, une  table leur a été réservée.
Après le repas, Bernadette reprendra son train. Le temps devient gris.
Il fait froid: “ah oui, c’est l’hiver ici” disait-elle.

Mon portable sonne, un “SMS” de ma fille: Papa, je t’attends..
Je me lève.
“Au revoir messieurs, dames”…

Adieu Bernadette…

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