Chacun des étages de cet immeuble algérois, est doté de quatre appartements dont les deux plus grands, mitoyens, donnent sur l’avenue de la Bouzaréah. C’est dans l’un de ces deux-là , situé au quatrième étage, que nous vivons.
L’aspect de sa façade ferait remonter sa construction aux années 1920- 1930.
Un long balcon rectangulaire longe les deux pièces principales. Pour alléger l’aspect massif de cette excroissance architecturale, les angles ont été tronqués et la longueur a été échancrée sur toute la moitié supérieure, ornée de barreaux métalliques aux figures géométriques alternées.
En revanche aux extrémités, les retours du balcon représentaient deux hautes masses pleines et protectrices… En effet, ces cachettes devenaient les réduits de notre lâcheté lorsque nous nous dissimulions, après avoir atteint de nos noyaux d’abricots ou d’une peau de melon un passant innocent, aussitôt que celui-ci levait son regard pour localiser l’agresseur…
Le mur extérieur, compris entre les deux portes-fenêtres des pièces adjacentes, était décoré, sur toute sa hauteur, d’un large panneau formé de longues colonnes étroites accolées, moulées sous forme de demi-rondes.
Le sol était recouvert d’un carrelage ordinaire, couleur sable, qui devenait un piège bien glissant lorsque il était mouillé, ou qui brûlait la plante de nos pieds nus lorsque il était chauffé par le soleil cuisant de l’été. Il se transformait sous la pluie des gros orages de l’automne, en une scène d’un ballet de bulles d’air, sous l’aspect de demi-sphères plus ou moins grosses, se glissant ici et là, comme le ferait ce groupe de danseuses russes Berezka, avant d’éclater dans un dernier soupir. Ce spectacle que m’offrait la pluie me fascinait et me tenait longtemps pensif, apaisé.
Face à chacune des fenêtres, un haut cadre métallique rectangulaire vertical, solidement maintenu en appui sur le balcon, permettait de faire passer au-dessus de la barre horizontale , un large store descendant, du mur de façade, comme un toit pour glisser verticalement jusqu’au soubassement du balcon.
Ainsi chacune des pièces contiguës, la salle à manger et la chambre de ma grand-mère, pouvait profiter dans le milieu de la journée, d’un court moment d’ombre portée par les tentures du balcon. Celles-ci offraient une couleur fraîchement orangée sur leur face intérieure, qui virait à la teinte saumon clair délavée, sur leurs surfaces exposées au soleil.
Par fortes brises, lorsque le vent soufflait de la mer, nous assistions à un concert de toiles de stores par l’alternance de claquements répétés et de feulements plus fugaces.
Puis, par moments ces tentures s’immobilisaient, le souffle bloqué au maximum de leur inspiration, dessinant alors d’énormes virgules orangées, ponctuant ici ou là les façades blanchies alignées sous le bleu intense du ciel, avant de se vider dans un clappement sec, puissant, comme définitif…jusqu’au prochain souffle.
Et puis vient l’heure où, le ciel, comme trempé dans le bleu de la mer dont il absorbe la couleur, sèche étendu face au soleil dans toute son immensité, en lui restituant un peu cette part de lumière qui s’affaiblit en s’estompant depuis l’orient, là-bas derrière les collines bleutées de la Bouzaréah…