Le balcon: les jeux de l’été

Comme tous les enfants nous étions rarement à cours d’imagination pour occuper de nos jeux cette bande étroite de liberté, suspendue ente ciel et terre.

La seule parade aux rayons ardents du soleil de l’été,  consistait à «fermer les persiennes». De chaque côté de la fenêtre, il fallait alors ramener trois volets de bois recouverts de peinture écaillée, couleur cendre, brûlée par le soleil. Ils étaient ajourés par des jalousies pratiquées sur les deux tiers supérieurs de leur hauteur. On pouvait bloquer de l’intérieur, au moyen d’une barre plate de fer pivotante solidaire du cadre, une partie ou la totalité des volets selon le nombre de supports dans lesquels ce bras métallique était engagé. Nous avions tiré parti de ce système de fermeture pour aménager l’été, une balançoire, sur le balcon du côté salle à manger: en effet, nous attachions solidement un bout d’une ficelle sur la rampe du balcon, l’autre extrémité était fixée sur la barre métallique des persiennes, maintenue en position horizontale et rendue accessible grâce à l’ouverture d’une partie des volets. Il fallait bien sûr effectuer ici et là quelques réglages sur la ficelle de chanvre, puis pour ménager nos fesses,  entasser sur celle-ci quelques oreillers, en maintenant d’une main leur équilibre sommaire pour  nous y asseoir rapidement avant   qu’ils ne tombent. Et à la va-s-y que je te pousse… surtout pas de travers et pas trop fort non plus…Allez, continue ! Dans un silence interrompu de bruyants « chuuuuut » pour ne pas tirer notre grand-mère de sa sieste, sinon…

A l’autre extrémité du balcon était aménagé, sur toute la largeur  à même le sol, un réduit constitué sur le  dessus de planches de bois  brûlé par le soleil et terni par la pluie, clos par un cadre  gauchi  de bois  grillagé. Ce petit château branlant constituait un « poulailler » d’appoint, pour y accueillir nos amies volailles (coq, poule ou dinde) dans l’attente du geste sacrificateur du Rabbin, qui nous les rendrait consommables pour la fête de Kippour. Certains des pensionnaires qui y séjournèrent nous aidèrent à occuper les rares moments durant lesquels nous étions laissés seuls et livrés à nous-mêmes. A ces occasions, le volatile, la plupart du temps un coq, était rapidement extrait de son habitacle de passage. Nous le présentions aussitôt à son adversaire, lequel n’était autre que la propre image de l’animal renvoyée par l’une des portes de l’armoire à glaces de l’alcôve. Nous encouragions alors « les combattants » de la voix et du geste en « les poussant l’un vers l’autre », et soudain la bataille commençait avec voracité. Devant la violence des coups d’ergots et de bec portés sur le miroir, le spectacle tournait rapidement à l’effroi, les assauts devenaient totalement incontrôlables, au point de ne plus savoir qui de nous ou de l’animal avait le plus peur…tellement nous nous trouvions débordés par cette furie ébouriffée et fracassante, jusqu’à ne plus savoir comment saisir l’assaillant insaisissable, pour lui faire regagner le chemin du poulailler . Ensuite, il était prudent, même vital pour nous, de faire disparaître du sol toutes traces de plumes, de duvet et de fientes qui auraient pu laisser croire que…
Il va sans dire que lors de la consommation de l’intrépide combattant, nous échangions mon frère et moi des regards complices…

Par ailleurs, de par son altitude, ce balcon constituait depuis le 4ème étage, un poste d’observation et d’attaques privilégié.   Selon les desserts de l’été, et selon les cibles choisies, nous  disposions d’un stock  de noyaux de pêches, de cerises ou d’abricots, et pour les grandes occasions d’une varieté d’écorces de pastèques ou de  petits melons cantalou.  L’époque de Juin était donc propice à  la collection saisonnière de ces munitions, mais nos activités combattantes restaient toutefois assez rares, du fait de leur dangerosité , et pour les assaillis, nos victimes … et pour nous, les assaillants, pris trop souvent à revers, par les lanières brûlantes du martinet sur nos mollets…

La terre glaise que nous allions récupérer à la côte de la Basseta constituait un matériau d’argile incomparable pour concrétiser nos petits soldats, nos revolvers et autres objets de jeux. Le soin tout particulier apporté à la finition permettait  de  lisser, à l’aide du pouce ou du majeur trempés dans l’eau, l’arête trop vive du canon d’un pistolet ou l’aile d’un avion …quel merveilleux matériau et quelle joie que celle de créer!
Mon frère aîné avait de réèls talents d’architecte naval…Il sut dailleurs les mettre à l’épreuve, bien des années plus tard, lorsqu’après avoir construit la coque d’un canot, dans une chambre de son appartement, il s’aperçut qu’il ne pouvait pas la sortir ni par la fenête, ni par la porte de cette pièce!… Ainsi donc,  l’extrémité d’une planche de bois blanc brut était habilement taillée au couteau pour lui donner une forme d’étrave, les échardes disparaissaient aussitôt sur le ciment râpeux  d’un pan du balcon, quelques  épingles  fournissaient ensuite un bastingage  maintenu par un mince fil de coton ; un mât haubané de fil de fer,  deux voiles de chiffon aux bordures effilochées et la quille de travers formaient  ainsi ce voilier. Il nous fallait ensuite espérer l’occasion qui nous permettrait de mettre à l’eau ce bateau…un de ces matins de plage , hélas trop rares !

C’est aussi de ces remparts que dévalaient de lourdes guirlandes de papier aux couleurs bleu, blanc et  rouge accrochées d’un côté à la rampe de notre balcon  pour rejoindre de part et d’autre,  ceux des voisins. C’était souvent un exploit que de réussir à garnir ainsi une façade d’immeuble, il fallait viser juste pour que l’autre extrémité aille chez le bon voisin, lequel à son tour exerçait son adresse pour prolonger ainsi, d’immeuble en immeuble , la décoration patriotique de chaque 14 Juillet. Les plus habiles d’entre nous, savaient catapulter leurs guirlandes sur un balcon, situé en vis-à-vis, de l’autre côté de notre rue, quant aux  lancers manqués, les banderoles de papier  ornaient alors le faîte des platanes. Des lampions de papier crépon, illuminés par la flamme tremblotante des bougies qu’ils emprisonnaient, diffusaient la nuit ces chaudes couleurs républicaines vacillantes et flamboyantes . Le décor était planté. Lors de la retraite aux flambeaux, qui se déroulait le 13 Juillet au soir, on rajoutait sa touche personnelle en  illuminant d’une bougie ou de quelques ampoules et lampions supplémentaires ici et là, la façade  de tel ou tel balcon.
Bleu, blanc , rouge…J’ai toujours aimé l’accord parfait de ces trois couleurs. Et pour moi, enfant, je ne trouvais pas de plus bel assortiment sur la page de mon dictionnaire Larousse, étalant les drapeaux d’autres nations. Que ce soit sur les guirlandes et lampions avec lesquels nous jouions enfants,  ou plus tard, devenus bidasses,  face au drapeau auquel nous présentions nos armes à la levée des couleurs, c’était toujours le même contentement de voir ces trois couleurs, bleu, blanc, rouge, ces “trois fleurs de la Nation”…
C’était la fête ! Et ça sentait la poudre des gros pétards qui fusaient de toutes parts ! L’air tiède nous ramenait les flonflons tourbillonnants de l’accordéon, on dansait tout à côté devant  la Cité des Vieux Moulins, et même parfois l’odeur des grillades de brochettes, plus loin dans le bas de l’avenue.

One Comment

  1. Angelilie

    J’aime beaucoup votre blog. Un plaisir de venir flâner sur vos pages. Une belle découverte. blog très intéressant. Je reviendrai. N’hésitez pas à visiter mon univers. Au plaisir

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