Combien de fois nous sommes-nous vu reprocher par nos chères et tendres épouses l’achat de telle chaine stéreo, de tel magnétoscope ou appareil photo ou encore de tel gadget dernier cri ( parfois totalement inutile , avouons-le…) . La raison? Elle en est toute simple: ce comportement est dû à notre atavisme paternel…Oui, oui! Notre papa était un rêveur fou de modernité et donc de nouveautés…
Durant l’été 1952, nous habitions alors à Paris depuis deux ans…il envoya sa petite famille passer ses vacances à Alger, et sur le quai de la Gare de Lyon, au moment du départ, je l’entends encore prévenir notre maman qu’une belle surprise nous attendrait à notre retour…
Effectivement, quelques semaines plus tard , nous trouvions dans la salle à manger un poste téleviseur (quelle marque? Radiola, Phillips?…je ne me souviens plus..) .A l’époque il y avait seulement 20.000 téleviseurs en France…
C’était parait-il un technicien américain qui dut monter sur le toit de notre immeuble, pour y installer l’antenne de télé. Américain, car à cette époque ils étaient les seuls semble-t-il à posséder l’art et la manière. Je revois mon père imiter cet homme, de forte corpulence parait-il , lequel muni seulement d’un tournevis traversait les cloisons pour y faire passer le cable de la télé…Oui , très impressionné le papa, encore bien des années après…
Je me souviens bien de notre émerveillement, mais aussi de la réaction de notre mère… Et de cette réaction, je compris aussi pourquoi Papa décida de lancer cette opération “acquisition télé” durant son absence…
Nous étions effectivement émerveillés , le nez collé à 30 cm de “ la télevision ” qu’on allumait même en dehors des programmes (rares) pour voir cette neige scintiller sur les “ 819 lignes” du petit écran, lequel ne devait pas dépasser 14 pouces de diagonale… Nous allions nous habituer au sourire de Jacqueline Joubert à ceux non moins charmants de Catherine Langeais et de Jacqueline Caurat, nos “spikrines”…
Mais il faut se rappeler aussi d’un évènement celui de la retransmission en direct du couronnement de la Reine Elisabeth, émission qui marqua le début de l’Eurovision et de l’usage intensif du terme “faisceaux hertziens”, lesquels perturbèrent trop souvent les images télé mais aussi notre patience.
Le “ Journal télévisé “ de Pierre Sabbagh était l’émission attendue et puis des films et programmes de distraction grand public remplirent petit à petit les maigres grilles des programmes.
Une seule chaine, une seule émission le soir, du noir et blanc, le dimanche à midi : “ La séquence du spectateur “ présentée par Catherine Langeais, émission que j’associerai toujours à l’odeur du sempiternel “rosbeef-petits pois” dominical d’une de nos voisines…
Et puis le film du dimanche après-midi, de très beaux films devenus de grands classiques: “ Les enfants du Paradis”, “ Les portes de la nuit”, “La belle et la bête”, “La bataille du rail”, “ le voleur de bicyclette” etc..etc…
Ce poste téleviseur incita souvent la famille à venir nous rendre visite les dimanches après-midi, nous en étions alors les premiers possesseurs. Aussi, les leçons, les cartes de géographies et les versions anglaises pour le lundi passèrent au second plan …Les “tu as fini ton travail?” de Maman, au moment de nous installer devant le film qui débutait (et qui méritait tous les mensonges) résonnent encore à mes oreilles…La tarte aux abricots, les marrons chauds grillés et l’orangeade agrémentaient de bonheur ces tristes dimanches d’hiver. Et puis …l’angoisse du dimanche soir, avec les leçons pas apprises, les cartes bâclées et les versions gruyère.
Je vous parle de la télé de Papa, mais je pourrais aussi vous vous parler du télephone qu’il nous installa très tôt à telle preuve que nous fûmes les premiers du nom à figurer dans le Bottin parisien, et du premier magnétophone ( le premier d’une longue série…) de fabrication russe , et puis…, et puis…, et puis je pourrais aussi vous parler de maman qui allait de surprise en surprise…
Mais au-delà de cet engouement pour l’acquisition de toutes ces nouvelles technologies, il y avait surtout chez lui le désir de se récompenser d’une vie de frustrations et de dûr labeur, d’une vie difficile, vie qu’il commença dès l’âge de 9 ans comme apprenti culottier, en ramenant déjà chez lui un pécule qui lui permettait de participer à faire vivre sa nombreuse fratrie.
Si mes frères et moi avons herité de lui, que nos femmes nous pardonnent!